Capital Finance - La loi de finances 2013 chamboule les stratégies d’endettement
La limitation de la déductibilité des charges financières dans la détermination du résultat fiscal de certaines sociétés engendre un coût supplémentaire. Il convient de le mesurer, avant toute décision d’endettement. Les sociétés dont les charges financières (nettes de produits financiers) sont supérieures à 3 M€ ne pourront dorénavant déduire que 85 % de ces dernières sur l’exercice 2013, et 75 % sur les exercices suivants. Cette réforme tend d’une part à limiter le recours à un endettement excessif, et d’autre part à aligner la fiscalité française sur celle de nos voisins européens. Depuis 2008, les entreprises allemandes ne peuvent en effet déduire, au-delà de 3 M€, qu’un montant de charges financières limité à 30 % de l’Ebitda. Ainsi, une entreprise française qui affiche un résultat d’exploitation de 20 M€, et dont les frais financiers sont de 4 M€, sera imposée à l’IS sur un résultat fiscal de 16,6 M€, en 2013, et de 17 M€ à partir de 2014 – contre 16 M€, précédemment. En tenant compte d’un taux d’IS de 36,1 %, cela correspond à une imposition complémentaire de 216 600 €, en 2013, et de 361 000 €, à partir de l’an prochain. Si la conséquence de la limitation de la déductibilité des charges financières correspond, à première vue, à une « simple » augmentation de l’IS, il convient aussi de mesurer les effets négatifs de cette loi sur la valeur des entreprises, ainsi que sur la stratégie optimale d’endettement à adopter.
Valorisations en forte baisse
Une société soumise à cette nouvelle réglementation verra non seulement ses flux de trésorerie diminuer, en raison de l’augmentation de l’IS, mais aussi son risque financier évoluer à la hausse. On comprend aisément que, plus les charges fixes d’une société sont élevées, plus le risque est fort. Or, la limitation de la déductibilité des charges financières n’est rien d’autre qu’une augmentation des charges fixes. L’une des méthodes de valorisation adoptées par la plupart des professionnels consiste à déterminer deux paramètres, que sont les flux de trésorerie futurs et le taux d’actualisation exigé par les pourvoyeurs de fonds, autrement dit, leur appréciation du risque. La limitation de la déductibilité des charges financières sur la valeur d’une entreprise aura donc une double conséquence : moins de flux et plus de risque. Les simulations que nous avons menées sur différentes sociétés très endettées conduisent à une diminution des flux de trésorerie de l’ordre de 3 % à 4 % et à une augmentation du risque de 15 % à 20 %, soit un impact négatif sur la valeur des sociétés pouvant aller jusqu’à 20 %. Les cours de Bourse des sociétés endettées n’ont sans doute pas décroché aussi fortement, en raison d’une anticipation progressive de cette mesure, mais les dirigeants et les directeurs financiers auront nécessairement mesuré la perte de valeur de leurs entreprises.
Endettement à surveiller
Le recours à l’endettement implique une augmentation de la rentabilité des actionnaires mais aussi une augmentation du risque. Cette problématique classique fait régulièrement débat au sein des professionnels de l’évaluation. Selon certains, le recours à l’endettement financier, aussi extrême soit-il, permet d’enrichir les actionnaires, puisque ces derniers bénéficieront de la déductibilité fiscale des charges d’intérêts : le fameux « tax shield », dans le jargon du métier. Pour d’autres, il n’existe aucun intérêt financier à s’endetter, l’avantage fiscal étant compensé par l’augmentation du risque et des contraintes associés à la dette (les coûts de faillite, par exemple). En revanche, les conciliateurs voient dans ce débat une structure financière optimale, comprenant une part de dette suffisante pour bénéficier du « tax shield », mais raisonnable, afin d’éviter le risque de faillite. Quelle que soit l’opinion des professionnels à ce sujet, ces derniers s’accorderont sur un point : l’endettement optimal des sociétés dont les charges financières sont supérieures à 3 M€ doit être revu à la baisse, puisque l’on supprime une partie de l’avantage (la déductibilité totale des charges financières), sans pour autant réduire un inconvénient (le risque de faillite). Les directions financières seront davantage sollicitées et devront dorénavant prendre en compte cette nouvelle mesure lors des réflexions concernant notamment la structure des capitaux employés. Cette question est d’autant plus sensible que dans une situation de forte volatilité des marchés, le gearing est lui-même volatil et peut fortement s’écarter de son optimum. Il conviendra donc plus que jamais de surveiller le levier financier au travers d’une évaluation rigoureuse des fonds propres et de la dette et d’éviter les effets de seuil (cette nouvelle réglementation s’appliquant dès le premier euro).